Le vent chaud de la Méditerranée caresse à nouveau les ruelles de Sidi Bou Saïd. Les terrasses se remplissent, les rires résonnent, les vendeurs de jasmin reprennent leur place. Après des années d’incertitude, la Tunisie semble sourire de nouveau à ses visiteurs. Mais derrière les façades blanches et bleues, une question persiste : le tourisme tunisien est-il réellement en train de renaître, ou s’agit-il d’un simple mirage d’après-crise ?
Un secteur à genoux, puis le silence
Avant la pandémie, le tourisme représentait près de 14 % du PIB tunisien. En 2019, le pays avait accueilli plus de 9 millions de visiteurs, un record historique. Puis, en mars 2020, tout s’est arrêté. Les frontières se sont fermées, les avions ont été cloués au sol, et les plages sont devenues désertes.
« C’était comme si le temps s’était figé », confie Leïla Ben Messaoud, propriétaire d’une maison d’hôtes à Djerba. « J’ai dû renvoyer mes trois employés. Pendant deux ans, je n’ai eu que le chant des cigales pour compagnie. »
Les pertes ont été colossales. Selon la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, plus de 70 % des établissements ont connu des fermetures temporaires, et certains ne rouvriront jamais. À Hammamet, Sousse ou encore Tozeur, les enseignes abandonnées témoignent encore de cette période noire.
Un frémissement timide mais réel
Depuis 2022, les chiffres repartent à la hausse. En 2023, la Tunisie a enregistré 8,8 millions de visiteurs, frôlant le niveau d’avant-crise. Les recettes touristiques ont dépassé les 5 milliards de dinars, selon la Banque centrale tunisienne, un signe encourageant.
« On sent que les gens ont envie de revenir », explique Hichem Touiti, guide touristique à Kairouan. « Les Français, les Allemands, mais aussi de plus en plus d’Algériens et de Libyens. »
Les vols internationaux se multiplient, les croisières reprennent leur escale à La Goulette, et les festivals locaux recommencent à attirer les foules. Le retour du Festival international de Carthage, après deux ans d’interruption, a rassemblé plus de 200 000 spectateurs en 2023.
Des touristes différents, des attentes nouvelles
Mais les visages de ceux qui reviennent ne sont plus tout à fait les mêmes. Moins de groupes organisés, davantage de voyageurs indépendants, souvent jeunes, en quête d’authenticité. Ils délaissent les resorts pour les maisons d’hôtes, les circuits classiques pour les expériences immersives.
« Avant, on vendait du soleil et des plages. Aujourd’hui, on vend des histoires, des rencontres, du vécu », observe Amine Gharbi, fondateur de l’agence alternative “Tunis Autrement”.
Les circuits éco-responsables dans le désert du Dahar, les ateliers de poterie à Sejnane ou les séjours en immersion dans les médinas séduisent une clientèle plus sensible à l’impact de son voyage. Une mutation que les professionnels du secteur tentent d’accompagner, parfois à tâtons.
Une reprise freinée par des défis persistants
Malgré cet élan, de nombreux obstacles freinent la reprise complète. L’inflation galopante, qui a atteint plus de 9 % en 2023, pèse sur les coûts d’exploitation. Les tensions politiques internes, les coupures d’électricité et les pénuries d’eau dans certaines régions inquiètent les investisseurs.
« On a besoin de stabilité pour planifier, pour investir », déplore Samira Jaziri, directrice d’un hôtel à Mahdia. « Les touristes ne veulent pas seulement du soleil, ils veulent de la sécurité, de la qualité, de la transparence. »
Autre défi : la formation du personnel. Après deux ans d’inactivité, de nombreux professionnels qualifiés ont quitté le secteur. Le manque de main-d’œuvre qualifiée est criant, notamment dans les régions intérieures où l’offre touristique peine à se structurer.
Le pari du tourisme intérieur et régional
Face à l’incertitude des marchés européens, la Tunisie mise aussi sur ses voisins. En 2023, plus de 2,5 millions d’Algériens ont franchi la frontière, un record. Les Libyens, eux aussi, affluent, attirés par les soins médicaux, le shopping ou simplement les plages.
Le tourisme intérieur connaît également un regain. Les Tunisiens redécouvrent leur propre pays, stimulés par des offres adaptées à leur pouvoir d’achat. « On part en week-end à Zaghouan ou à Tabarka. C’est moins cher, et on se sent chez nous », explique Fathi, un jeune père de famille de Tunis.
Cette dynamique régionale, encore fragile, pourrait devenir un pilier durable du secteur, à condition d’investir dans les infrastructures et la promotion ciblée.
Vers un nouveau modèle touristique ?
La crise a agi comme un révélateur. Elle a mis en lumière les failles d’un modèle trop dépendant du tourisme balnéaire de masse. Aujourd’hui, la Tunisie tente de se réinventer.
Le ministère du Tourisme a lancé plusieurs initiatives pour diversifier l’offre : développement du tourisme saharien, culturel, médical, rural. Des projets pilotes voient le jour, comme les routes des kasbahs dans le sud ou les circuits archéologiques dans le nord-ouest.
Mais cette transformation demande du temps, des moyens, et surtout une vision claire. « Il faut arrêter de courir après les chiffres et penser à long terme », insiste Mehdi Kacem, chercheur en tourisme durable. « La Tunisie a tout pour réussir, mais elle doit choisir quel visage elle veut montrer au monde. »
Alors que les avions atterrissent à nouveau à Monastir et que les souks de Tunis retrouvent leur animation, une chose est certaine : le tourisme tunisien est à la croisée des chemins. Reste à savoir s’il s’agit d’un simple retour à la normale… ou du début d’une véritable renaissance.

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.














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