En Afrique australe, la coopération s’organise autour des projets gaziers
Selon l’agence de consulting Wood Mackenzie, la production annuelle de GNL de l’Afrique pourrait passer de 40 à 100 millions de tonnes d’ici 2035. 40 % des découvertes de gaz au cours de la dernière décennie ont en effet eu lieu en Afrique, essentiellement dans la partie australe du continent. Un large éventail d’acteurs se mobilise pour valoriser au mieux ce potentiel.
L’Afrique australe, la révélation de la décennie pour le marché de l’énergie
Au fil des deux dernières décennies, les découvertes d’immenses réserves de gaz naturel ont fait entrevoir de nouvelles perspectives pour les pays de l’Afrique australe. L’Angola, jusqu’ici seul pays de la région bien implanté sur le marché de l’export gazier, augmente encore ses capacités avec le démarrage d’un nouveau projet offshore en 2022, prévu pour être pleinement fonctionnel en 2026, permettant de produire environ 2,9 millions de tonnes par an.
En Afrique du Sud, pays le plus industrialisé du continent, l’exploitation rapide des gisements de gaz offshore (blocs 11B/12B au large de Mossel Bay) et onshore devient même un besoin vital, tandis que le pays connaît une crise énergétique sans précédent, les coupures d’électricité durant parfois 12h d’affilée. En 2022, le pays a connu plus de 2000 heures de surcharge de son réseau électrique. Avec un schéma énergétique s’appuyant principalement sur le charbon, l’Afrique du Sud, qui s’est par ailleurs engagée à développer les énergies renouvelables avec l’aide de l’Union européenne notamment, doit pallier rapidement un problème sérieux et générateur de tensions dans la population. Cette situation est aujourd’hui critique, le gouvernement ayant même décrété le 9 février l’état de catastrophe nationale.
Si les projets d’exploitation offshore en particulier sont attaqués par des ONG comme Bloom par crainte pour l’environnement, le gouvernement sud-africain se veut pragmatique et tout semble indiquer que le pays, devenu en 2022 exportateur de GNL, continue de développer l’exploitation nationale de ses réserves dans l’optique de stabiliser sa production énergétique tout en diminuant la part du charbon, conformément à ses engagements de développement durable, le gaz émettant environ 50 % de CO2 de moins que le charbon.
Au large de la Namibie, un gisement découvert l’an dernier commence à être exploré, et les premières mesures indiquent un potentiel de plusieurs milliards de barils.
Mais c’est surtout le Mozambique voisin qui se distingue par l’ampleur de ses réserves, estimées selon l’Union internationale du gaz à quelque 2 milliards de tonnes, qui lorsqu’elles seront pleinement exploitées, avec une production estimée à 60 millions de tonnes par an, pourraient faire entrer le Mozambique dans le Top 5 des exportateurs mondiaux de GNL, aux côtés de l’Australie, du Qatar, des Etats-Unis, du Canada et de la Malaisie.
Pour tous ces pays, les bénéfices attendus de cette exploitation sont cruciaux. Ils devraient être le moyen de faire décoller leurs économies et de sortir leurs populations de la pauvreté endémique qui les caractérise à des degrés divers. L’un des défis est d’ailleurs de gérer de façon équitable ce développement, en faisant notamment accéder l’ensemble des habitants aux opportunités d’emplois directs et indirects. Un défi pour l’Afrique du Sud, où la situation est compliquée du fait de la crise énergétique avec une chute de 1,3 % du PIB au dernier trimestre 2022. Dans ce contexte, le spectre des émeutes mortelles de 2021 laisse planer la crainte de conflits civils dans un pays dont le vivre-ensemble est un pilier fragile, soulignant la nécessité pour les autorités de répondre au plus vite aux besoins énergétiques.
Au plan international, l’exploitation de ces ressources énergétiques semble ne pas être l’occasion de rivalités crisogènes. Au contraire, avec le cas emblématique du Mozambique, on constate de facto une forme de solidarité internationale, qui souligne l’intérêt commun d’avoir un accès sûr au maximum de ressources gazières possible.
Mozambique : une mobilisation internationale inédite
Pays parmi les plus pauvres, le Mozambique peine à garder le contrôle sur le nord, éloigné de 2700 km de la capitale, Maputo. La région du Cabo Delgado, zone côtière donnant sur le canal du Mozambique et jouxtant la Tanzanie, est ces dernières années le théâtre malheureux d’insurrections islamistes. L’ONU estime que depuis 2017, environ 4000 personnes ont été tuées et 800.000 déplacées.
L’État mozambicain, dépassé, a fait appel d’abord à des compagnies privées, telle la société russe Wagner, ou encore la société sud-africaine Dyck Advisory Group. Mais l’implantation des rebelles, leur supériorité militaire et les conséquences socio-économiques de la crise ont poussé le Mozambique à chercher d’autres solutions, en se tournant vers ses voisins.
Ainsi, en juin 2021, la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC, Southern African Development Community), financée notamment par l’Union européenne, a approuvé une mission de soutien militaire au Mozambique. Outre l’Afrique du Sud, le Botswana et le Zimbabwe ont déployé plusieurs milliers d’hommes pour contrer l’insurrection du groupe armé Ansar al-Sunnah. Le Rwanda est également intervenu, indépendamment de la SADC et l’efficacité de son action a été saluée internationalement.
Le projet « Afungi », une coopération protéiforme
S’il faut reconnaitre la solidarité interafricaine qu’elle traduit, une telle mobilisation, dont le succès demande à être confirmé dans la durée, est directement liée à l’intérêt stratégique des projets gaziers initiés dans le pays. L’Afrique du Sud importe en effet, par le gazoduc ROMPCO, environ 4,6 millions de tonnes de GNL par an depuis le Mozambique, ce qui représente la majorité de sa consommation annuelle nationale. Mais la nation arc-en-ciel est également investie dans les projets de développement du terminal de GNL de Matola, près de la capitale, Maputo.
Au nord, au large du cap Delgado, deux champs rassemblent les réserves majeures du pays. La zone 4 a commencé à être exploitée par l’italien ENI, avec une solution d’usine flottante permettant d’effectuer toutes les opérations en mer, ce qui a permis d’effectuer en novembre 2022 la première exportation de GNL par bateau. ENI parle de 450 milliards de m3 à exploiter et d’une capacité de 3,4 millions de tonnes par an pour sa part.
La zone 1, opérée par Mozambique LNG, un consortium d’énergéticiens de France, d’Inde, du Japon, du Mozambique et de Thaïlande, dispose de 60 % des réserves identifiées, de l’ordre de 2,2 milliards de tonnes de gaz. Après avoir suspendu ses activités en avril 2021 pour des raisons de sécurité et rappelé tous ses employés, le groupement entend reprendre l’exploitation dès que la situation sécuritaire le permettra, selon les propos de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, en visite sur place en février dernier. Deux trains de liquéfaction sont en projet, sur le site dit « Afungi » près de Palma, la ville côtière proche des sites offshore, avec une capacité de 13,1 millions de tonnes par an. Un financement de 16 milliards de dollars est déjà sécurisé pour la réalisation du projet, qui comprend aussi un terminal maritime.
Les conditions de sécurité s’améliorant, les projets gaziers deviennent une évidence selon José de Oliveira, professeur ès stratigraphie et chercheur en questions énergétiques à l’université de Porto : « Étant donné que le gaz naturel va être un combustible de transition et qu’il durera beaucoup plus d’années que le pétrole et étant donné l’importance que le GNL prend maintenant dans le monde, je suis convaincu que les projets au Mozambique seront couronnés de succès. »
Les deux champs réunis, ce sont 15,2 millions de tonnes par an qui pourraient être exportées, ce qui pourrait rapporter entre 80 et 96 milliards de dollars au Mozambique, laissant envisager de belles retombées pour ce pays dont le PIB nominal en 2022 était de 18 milliards de dollars. L’idée d’un fonds souverain destiné à la gestion des bénéfices fait son chemin afin d’assurer une exploitation optimale pour les populations locales, meurtries par des années de violence, et que la manne gazière pourrait enfin sortir de leur pauvreté endémique.
La réussite de l’exploitation des champs gaziers du canal du Mozambique ne laisse pas grand monde indifférent, y compris en dehors du pays d’Afrique australe. En plus de l’Afrique du Sud, d’autres acteurs internationaux sont particulièrement intéressés, tels des pays d’Asie comme l’Inde ou la Corée du Sud, mais aussi l’Union européenne en recherche active de fournisseurs alternatifs pour remplacer le gaz russe. L’intérêt manifeste pour la sécurité de la région, et la coopération internationale autour du Mozambique, montrent que les enjeux de stabilité dépassent désormais largement les frontières du pays.