Dans les rues animées de Harare, une jeune danseuse répète ses mouvements face à son téléphone posé sur une boîte en carton. En arrière-plan, des enfants la regardent, fascinés. Quelques heures plus tard, sa vidéo fait le tour des réseaux sociaux. Elle ne le sait pas encore, mais elle vient de franchir une frontière invisible : celle qui sépare la tradition de l’innovation numérique. Le Zimbabwe, longtemps perçu comme figé dans ses difficultés économiques, est en train de réinventer sa culture à travers les écrans, les plateformes et les pixels.
Un héritage culturel en quête de renouveau
Le Zimbabwe possède une richesse culturelle ancienne, façonnée par des siècles d’histoire et de traditions. Du mbira — instrument ancestral aux sons envoûtants — aux danses rituelles shona, l’identité du pays est profondément ancrée dans ses racines. Mais comment préserver cet héritage dans un monde où les jeunes passent plus de temps sur TikTok que dans les cérémonies communautaires ?
« Il ne s’agit pas de remplacer nos traditions, mais de les traduire dans un langage que les jeunes comprennent », explique Tafadzwa Moyo, fondateur de Digital Mbira, une start-up qui numérise les sons traditionnels pour les intégrer à la musique électronique. « Si nous ne faisons rien, ces savoirs vont disparaître. »
Selon une étude menée par l’Université du Zimbabwe en 2022, près de 68 % des jeunes de moins de 25 ans ne connaissent pas les chants traditionnels de leur ethnie. Face à cette perte progressive, artistes et institutions culturelles ont décidé d’agir, en se tournant vers le numérique comme outil de transmission.
Le numérique comme scène culturelle
Depuis la pandémie de COVID-19, les artistes zimbabwéens ont investi massivement les plateformes numériques. YouTube, Instagram, Facebook Live et surtout TikTok sont devenus les nouvelles scènes où se jouent les performances artistiques du pays.
« Avant, je devais attendre un festival ou une invitation pour jouer. Maintenant, je peux publier une vidéo chaque semaine et toucher des gens à Londres, Nairobi ou Tokyo », confie Chipo Ncube, conteuse urbaine de 34 ans. Ses récits traditionnels, racontés en shona et sous-titrés en anglais, cumulent plus de 500 000 vues.
Les festivals culturels ont eux aussi migré en ligne. Le célèbre Harare International Festival of the Arts (HIFA) propose désormais une édition numérique, avec des spectacles filmés en haute définition et diffusés en streaming. En 2023, plus de 1,2 million de spectateurs virtuels ont assisté à l’événement, un record jamais atteint en présentiel.
Une économie créative en pleine mutation
Au-delà de la diffusion, le numérique transforme aussi l’économie de la culture au Zimbabwe. Les créateurs peuvent désormais monétiser leurs œuvres via des plateformes comme Patreon, YouTube ou des NFT culturels. Une révolution silencieuse est en cours.
« Avant, vendre un album était un parcours du combattant. Aujourd’hui, je publie mes morceaux sur Spotify et je reçois mes revenus directement », explique Tendai Mutsvairo, musicien afro-fusion de Bulawayo. En 2023, ses revenus digitaux ont représenté 80 % de ses gains annuels, contre à peine 15 % cinq ans plus tôt.
Le gouvernement commence lui aussi à s’intéresser à cette économie émergente. Un fonds de soutien à la création numérique a été lancé en 2022, doté de 2 millions de dollars. Il vise à financer des projets culturels innovants, allant de la réalité virtuelle à la numérisation des archives historiques.
La mémoire du passé, préservée en ligne
Si le numérique permet de créer, il joue aussi un rôle crucial dans la préservation. Des initiatives locales se multiplient pour archiver les danses, chants, objets et récits traditionnels sur des plateformes accessibles à tous.
Le projet « Virtual Great Zimbabwe » en est un exemple frappant. Grâce à la réalité augmentée, il permet de visiter les ruines de Great Zimbabwe comme si l’on y était, tout en écoutant les récits des anciens. « C’est une manière de rendre notre histoire vivante, de la sortir des livres poussiéreux », explique Rutendo Chikore, historienne numérique.
Des écoles primaires commencent à intégrer ces outils dans leur programme. À Mutare, une classe de CM2 a récemment étudié l’histoire des clans shona à travers une application interactive. L’expérience a bouleversé les élèves. « C’était comme voyager dans le temps », raconte Tapiwa, 11 ans, les yeux brillants.
Les défis d’un virage numérique
Mais cette transformation n’est pas sans obstacles. L’accès à Internet reste inégal dans le pays : seuls 38 % des foyers ruraux disposent d’une connexion stable. Le coût du matériel, la fracture numérique et la formation technique freinent encore de nombreux artistes.
« J’ai dû vendre mon téléphone pour acheter un micro », confie Farai, un jeune rappeur de Gweru. « Sans équipement, tu n’existes pas en ligne. »
Autre défi : la protection des droits d’auteur. Avec la montée en puissance des contenus numériques, de nombreux artistes se plaignent de voir leurs œuvres copiées ou utilisées sans autorisation. Le cadre juridique peine à suivre l’évolution rapide des usages.
Le ministère de la Culture a promis une réforme de la loi sur la propriété intellectuelle, mais celle-ci tarde à se concrétiser. En attendant, des collectifs d’artistes s’organisent pour sensibiliser et former leurs pairs à la gestion de leurs droits numériques.
Une nouvelle génération aux commandes
Derrière cette révolution silencieuse, une nouvelle génération de créateurs mène la danse. Ils sont vidéastes, designers, musiciens, conteurs ou développeurs, et tous partagent un même credo : reconnecter le Zimbabwe à lui-même, à travers le numérique.
« Nous ne voulons pas être des copies d’Hollywood ou de Lagos. Nous voulons raconter nos propres histoires, avec nos mots, nos images, nos sons », affirme Nokutenda, fondatrice de ZimStories, une plateforme de narration interactive.
Leur ambition dépasse les frontières. En 2023, le court-métrage « Mvura Inodonha », réalisé entièrement avec un smartphone, a été sélectionné au Festival de Cannes dans la catégorie Courts Métrages. Une première pour le Zimbabwe.
À mesure que ces voix s’élèvent, une chose devient claire : la culture zimbabwéenne n’est pas en train de disparaître. Elle se transforme, s’adapte, se propage. Et elle trouve dans le numérique non pas une menace, mais un miroir. Un miroir où passé et futur se rencontrent.
Alors que les tambours anciens résonnent désormais dans les casques Bluetooth, une question demeure : jusqu’où cette renaissance numérique peut-elle porter l’âme d’un peuple ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.













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