Le soleil se lève sur Dakar, mais c’est une autre lumière qui éclaire désormais le Sénégal : celle des écrans, des données et des connexions. Dans les rues de Pikine comme dans les bureaux feutrés du Plateau, un changement profond s’opère. Le pays ne se contente plus de suivre la marche du monde numérique. Il le façonne à sa manière, en redessinant les contours de sa société. Une révolution silencieuse, mais bien réelle.
Une jeunesse ultra-connectée, moteur du changement
Au cœur de cette transformation, une génération qui n’a jamais connu un monde sans Internet. Au Sénégal, plus de 70 % de la population a moins de 35 ans. Et parmi eux, une majorité vit avec un smartphone en main, souvent leur seul outil d’accès à l’éducation, à l’économie et à la culture.
« Mon téléphone, c’est mon école, mon bureau et mon passeport pour le monde », confie Aminata, 22 ans, étudiante en informatique à Thiès. Elle suit des cours en ligne, vend des vêtements sur Instagram et gère un blog sur la cybersécurité. Comme elle, des milliers de jeunes Sénégalais réinventent leur quotidien à travers le numérique.
Selon les chiffres de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP), le taux de pénétration d’Internet mobile dépasse désormais 90 % dans le pays. Un bond spectaculaire en moins de dix ans, qui a bouleversé les rapports sociaux, l’éducation et même la gouvernance.
Des start-up locales qui bousculent les modèles
Dans les couloirs lumineux de la DER (Délégation générale à l’Entrepreneuriat Rapide), l’effervescence est palpable. Ici, des centaines de projets voient le jour chaque année, portés par des entrepreneurs qui veulent résoudre des problèmes locaux avec des solutions numériques.
« Le numérique, c’est notre chance de créer nos propres modèles, adaptés à nos réalités », affirme Cheikh Diop, fondateur de SamaTaxi, une application de transport urbain 100 % sénégalaise. Lancée en 2020, elle compte aujourd’hui plus de 200 000 utilisateurs actifs à Dakar et ambitionne de s’étendre à d’autres villes d’Afrique de l’Ouest.
Des plateformes comme MaTontine, qui digitalise les systèmes d’épargne traditionnels, ou SunuCity, qui propose des services de gestion urbaine intelligente, montrent comment l’innovation locale peut répondre à des besoins profonds. En 2023, le Sénégal a enregistré plus de 450 start-up actives, un record dans la sous-région.
Une administration qui se numérise à grande vitesse
La transformation numérique ne se limite pas au secteur privé. L’État sénégalais a lancé en 2020 le programme « Sénégal Numérique 2025 », avec l’ambition de faire du pays un hub technologique régional. L’un des piliers : la dématérialisation des services publics.
« Aujourd’hui, on peut créer une entreprise en ligne en moins de 48 heures », explique Fatou Bâ, directrice de l’Agence de l’Informatique de l’État (ADIE). « C’est un gain de temps énorme, mais aussi une manière de réduire la corruption et de renforcer la transparence. »
Le portail national des services publics en ligne, « ServicePublic.gouv.sn », permet déjà de faire plus de 60 démarches administratives à distance. Le projet vise à atteindre 100 % des services dématérialisés d’ici 2025. Une révolution pour des millions de citoyens souvent éloignés des centres urbains.
Une fracture numérique qui persiste en zone rurale
Mais cette transformation n’est pas uniforme. Dans les campagnes du Fouta ou de la Casamance, la connexion reste un luxe. Moins de 40 % des foyers ruraux disposent d’un accès régulier à Internet, selon l’ANSD (Agence nationale de la statistique et de la démographie).
« On parle de numérique, mais ici, on capte à peine un signal », témoigne Mamadou, instituteur à Kédougou. « Mes élèves n’ont jamais touché un ordinateur. »
Pour combler ce fossé, des initiatives émergent. Le projet « Smart Villages », lancé en partenariat avec l’Union européenne, vise à équiper 100 localités rurales avec des centres numériques communautaires. Des bus connectés sillonnent aussi les routes pour offrir des formations à distance.
Mais le défi reste immense. Sans infrastructures solides et sans éducation numérique de base, une partie du pays risque d’être laissée en marge de cette nouvelle société.
Une culture numérique qui redéfinit les identités
Au-delà de l’économie et de l’administration, le numérique transforme en profondeur les représentations culturelles. La musique, le cinéma, la mode sénégalaise explosent sur les réseaux sociaux, portés par une créativité débordante.
« Avant, on attendait qu’un producteur parisien nous remarque. Aujourd’hui, on crée, on poste, et le monde nous regarde », s’enthousiasme Binta, chanteuse et influenceuse basée à Saint-Louis. Son dernier clip, tourné avec un smartphone, a dépassé les 2 millions de vues sur TikTok.
Les plateformes numériques deviennent des espaces de narration, d’affirmation identitaire et de résistance. On y parle wolof, pulaar, sérère. On y revendique une africanité numérique, affranchie des codes occidentaux.
Mais cette liberté a aussi ses zones d’ombre : désinformation, cyberharcèlement, surveillance. Le Sénégal, comme beaucoup de pays africains, doit encore définir les règles de cette nouvelle agora virtuelle.
Vers un modèle de société hybride et singulier
Ce que le Sénégal construit aujourd’hui n’est ni une copie du modèle occidental, ni un retour au passé. C’est un hybride, où les traditions cohabitent avec les écrans, où les griots deviennent youtubeurs, où les marchés s’ouvrent sur WhatsApp.
« On ne veut pas juste consommer le numérique. On veut le produire, l’adapter, l’habiter », résume Alioune Sall, sociologue et directeur de l’Institut des Futurs Africains. « C’est une question de souveraineté, mais aussi de dignité. »
Le pays mise sur l’éducation numérique dès le primaire, sur des data centers locaux, sur des lois de protection des données. Il cherche à créer un écosystème où la technologie sert le lien social, et non l’inverse.
Mais cette ambition soulève une question vertigineuse : jusqu’où peut-on transformer une société sans en perdre l’âme ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.













Laisser un commentaire