Dans les rues sablonneuses de Nouakchott, une étrange effervescence règne. Des jeunes connectés, des start-up qui bourgeonnent, des drones qui survolent les dunes… La Mauritanie, longtemps perçue comme figée dans ses traditions, semble prête à sauter dans le train de l’innovation mondiale. Mais à quel prix ?
Un pays à la croisée des chemins technologiques
Située entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, la Mauritanie occupe une position stratégique. Pourtant, son développement technologique est resté longtemps en marge des grandes mutations mondiales. Jusqu’à récemment.
Depuis 2020, des signaux faibles se sont transformés en tendances claires : montée en puissance des télécommunications, essor de l’e-commerce, utilisation croissante des énergies renouvelables. Le taux de pénétration d’Internet a bondi pour atteindre 47 % en 2023, contre à peine 10 % dix ans plus tôt, selon les données de l’Autorité de régulation.
« On a vu arriver les smartphones, puis les applications, et maintenant l’intelligence artificielle. Tout s’est accéléré en moins de cinq ans », raconte Mariem, développeuse de 28 ans à Nouadhibou. « Avant, on ne pensait même pas pouvoir créer une entreprise tech ici. Aujourd’hui, c’est devenu possible. »
Mais cette transition rapide soulève aussi des inquiétudes : la Mauritanie a-t-elle les moyens de suivre le rythme effréné de l’innovation mondiale sans perdre le contrôle de son avenir ?
Les start-up émergent dans le désert
Dans les quartiers périphériques de Nouakchott, des incubateurs voient le jour. Le plus connu, Hadina RIMTIC, a accompagné plus de 50 jeunes entreprises depuis 2018. Parmi elles, SolarNomad, une start-up qui installe des panneaux solaires dans les zones rurales, ou encore SaharApp, une application de livraison par moto-taxi adaptée aux réalités locales.
« Nous voulons créer des solutions africaines aux problèmes africains », explique Ahmed Ould Sidi, fondateur de SaharApp. « Le désert n’est pas un obstacle. C’est notre terrain d’innovation. »
Le gouvernement, de son côté, commence à soutenir timidement cet écosystème. En 2022, un fonds public de 5 millions de dollars a été lancé pour financer des projets numériques. Une goutte d’eau, mais un signal fort.
Pourtant, l’accès au financement reste un défi majeur. Selon une étude de la Banque mondiale, moins de 15 % des start-up mauritaniennes parviennent à obtenir des investissements extérieurs. Le manque d’infrastructures numériques et la faible bancarisation freinent encore la croissance du secteur.
La révolution verte s’invite dans le Sahel
La transition énergétique est l’un des domaines où la Mauritanie pourrait jouer un rôle clé. Avec un ensoleillement moyen de 3 000 heures par an et des vents constants sur la côte atlantique, le pays dispose d’un potentiel exceptionnel en énergies renouvelables.
En 2023, un accord a été signé avec une entreprise allemande pour construire une méga-centrale solaire près d’Atar. Objectif : produire 100 MW d’électricité verte d’ici 2026. Un projet qui pourrait transformer l’économie locale et réduire la dépendance aux énergies fossiles importées.
Mais ces projets suscitent aussi des tensions. Les communautés locales s’inquiètent des expropriations et de l’impact environnemental. « On nous parle de progrès, mais on ne nous consulte jamais », déplore Cheikh, éleveur dans la région de l’Adrar. « Et si cette énergie ne profitait qu’aux grandes villes ? »
La question de l’inclusion est cruciale. Car une innovation qui exclut creuse les inégalités au lieu de les combler.
Une jeunesse connectée, mais vulnérable
Avec plus de 60 % de la population âgée de moins de 25 ans, la Mauritanie a une carte maîtresse : sa jeunesse. Curieuse, créative, avide de changement. Mais aussi exposée à de nouveaux risques.
Sur TikTok, des influenceurs mauritaniens cumulent des centaines de milliers de vues. Des tutoriels de maquillage aux vidéos de sensibilisation contre le racisme, les jeunes s’emparent des réseaux sociaux pour s’exprimer. Mais la désinformation y prolifère aussi.
« Les fake news se répandent plus vite que la vérité », alerte Aïssata, journaliste à Nouakchott. « Et les jeunes, souvent sans formation critique, y sont particulièrement sensibles. »
Le système éducatif peine à suivre. L’enseignement du numérique reste marginal, alors que les compétences technologiques deviennent essentielles. En 2022, moins de 5 % des établissements secondaires proposaient des cours d’informatique de manière régulière.
La fracture numérique menace de se transformer en fracture sociale. Et avec elle, le risque d’une jeunesse désillusionnée, connectée mais exclue des opportunités.
Quand l’intelligence artificielle s’infiltre dans le quotidien
Depuis peu, l’intelligence artificielle fait son apparition dans les services publics. En 2023, le ministère de la Santé a lancé un programme pilote utilisant l’IA pour diagnostiquer plus rapidement certaines maladies dans les hôpitaux de Nouakchott.
« L’algorithme nous aide à détecter les cas de tuberculose à partir d’images pulmonaires. Cela nous fait gagner un temps précieux », explique le docteur Mohamed El Hacen. « Mais il faut rester vigilant : la technologie ne doit pas remplacer le jugement médical. »
Dans l’agriculture aussi, des capteurs intelligents commencent à être utilisés pour surveiller l’humidité des sols ou prévenir les invasions acridiennes. Des outils prometteurs, mais encore peu accessibles aux petits exploitants.
Le défi est de taille : comment intégrer ces technologies de pointe dans un tissu économique encore largement informel et peu structuré ?
Entre souveraineté numérique et dépendance technologique
À mesure que la Mauritanie s’ouvre aux innovations mondiales, une autre question émerge : celle de la souveraineté numérique. Car derrière chaque application, chaque plateforme, se cache une infrastructure souvent étrangère.
Les données personnelles des citoyens sont-elles protégées ? Qui contrôle les algorithmes qui influencent les décisions publiques ? En 2022, un rapport du Centre africain pour la cybersécurité a alerté sur la vulnérabilité des systèmes mauritaniens face aux cyberattaques.
« Nous avons besoin d’une stratégie claire pour protéger notre cyberspace », affirme Fatimata Ould Mbaye, juriste spécialisée en droit du numérique. « Sinon, nous risquons de perdre notre autonomie dans un monde où l’information est le nouveau pouvoir. »
Des initiatives locales émergent pour créer des solutions open source, former des experts en cybersécurité, ou héberger les données sur le sol national. Mais elles restent encore marginales face à l’ampleur des enjeux.
La Mauritanie est à un tournant. Entre espoir d’émancipation technologique et risque de dépendance accrue, le pays avance sur une ligne de crête. L’innovation sera-t-elle une chance partagée ou un mirage réservé à quelques-uns ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.













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