Dans une ruelle animée de Libreville, un jeune homme ajuste son casque, les yeux rivés sur l’écran de son smartphone. Il ne livre pas de repas, ni ne joue à un jeu. Il code. À 23 ans, Jules est développeur autodidacte, fondateur d’une start-up spécialisée dans les solutions de paiement mobile. « Ici, on ne peut plus attendre que les choses viennent à nous. Il faut créer, même avec peu », confie-t-il, les doigts toujours en mouvement. Le Gabon, longtemps dépendant de ses ressources naturelles, semble amorcer une mue silencieuse. Une révolution portée par le numérique, l’audace et l’urgence de réinventer l’économie.
Une jeunesse connectée, moteur d’un renouveau
Avec près de 60 % de sa population âgée de moins de 25 ans, le Gabon possède une force vive inestimable. Cette jeunesse, urbaine et ultra-connectée, n’attend plus les plans quinquennaux ni les promesses électorales pour agir. Elle crée, innove et s’organise.
« Mon téléphone est mon bureau, mon école, mon réseau », explique Amina, 27 ans, fondatrice d’une boutique en ligne de cosmétiques naturels. Lancée sur Instagram pendant la pandémie, son entreprise emploie aujourd’hui trois personnes. « Avant, on rêvait de partir. Maintenant, on rêve de réussir ici », ajoute-t-elle.
Selon l’ARCEP, le taux de pénétration d’Internet mobile au Gabon dépasse 90 %. Une donnée qui bouleverse les règles du jeu : l’accès à l’information, à la formation et au marché mondial n’est plus l’apanage des grandes entreprises. Il est désormais au creux de la main de chacun.
Un écosystème en construction, entre défis et résilience
Mais créer au Gabon n’est pas un long fleuve tranquille. L’accès au financement reste l’un des principaux obstacles. Moins de 5 % des jeunes entrepreneurs obtiennent un prêt bancaire. Les procédures administratives, souvent longues et opaques, freinent l’élan.
« Monter mon entreprise m’a pris huit mois. Huit mois de paperasse, d’allers-retours, d’attente », raconte Alain, fondateur d’une plateforme de e-learning. Pourtant, il ne regrette rien. « Le jour où j’ai reçu mon premier paiement depuis le Canada, j’ai su que ça valait le coup. »
Face à ces difficultés, des structures émergent. Le programme Gabon Numérique, lancé par l’État, vise à digitaliser l’administration et à soutenir l’innovation. Des incubateurs comme Ogooué Labs ou le Centre d’Innovation Numérique de Libreville accompagnent les porteurs de projets. Le chemin est encore long, mais les fondations se posent.
Le numérique, levier d’inclusion et de transformation
Au-delà de la technologie, c’est une nouvelle manière de penser l’économie qui s’installe. Le numérique devient un outil d’inclusion, de transparence et de souveraineté.
Dans les villages du Haut-Ogooué, une application mobile permet aux agriculteurs de vendre directement leurs produits sans passer par des intermédiaires. « Avant, je vendais mes régimes de bananes à perte. Maintenant, je fixe mon prix, et je livre moi-même », témoigne Jean-Baptiste, producteur à Franceville.
Dans le secteur de la santé, des start-ups proposent des consultations à distance, réduisant les inégalités d’accès aux soins. Dans l’éducation, des plateformes locales remplacent peu à peu les manuels importés, avec des contenus adaptés aux réalités gabonaises.
« Le numérique n’est pas un luxe ici. C’est une nécessité », résume Mireille Ndong, sociologue spécialisée en développement. « Il reconnecte les citoyens à l’économie, à leurs droits, à leur avenir. »
Une diaspora qui revient et investit autrement
Longtemps perçue comme une fuite des cerveaux, la diaspora gabonaise devient aujourd’hui un acteur clé du renouveau entrepreneurial. De plus en plus d’expatriés reviennent, portés par l’envie de contribuer à cette transformation.
« J’ai quitté Paris pour ouvrir un espace de coworking à Libreville. Mes amis m’ont pris pour un fou », sourit Stéphane, diplômé en ingénierie. Trois ans plus tard, son espace accueille une centaine de freelances, développeurs et créateurs de contenus. « Ici, tout est à faire. C’est grisant. »
Les transferts d’argent, autrefois destinés aux dépenses familiales, se transforment en investissements dans des projets locaux. En 2023, plus de 40 % des fonds envoyés par la diaspora gabonaise ont été réinjectés dans des activités économiques, selon la Banque Mondiale.
Des femmes en première ligne de l’innovation
Dans ce nouveau paysage entrepreneurial, les femmes occupent une place centrale. Elles sont nombreuses à lancer des start-ups, à diriger des incubateurs ou à former les générations futures au code et à l’entrepreneuriat.
« Le numérique m’a donné une voix et une place », affirme Clarisse, fondatrice d’une application de gestion financière pour femmes. « On parle souvent des femmes comme victimes du système. Moi, je veux qu’on parle de nous comme des bâtisseuses. »
Des réseaux comme Les Femmes Numériques du Gabon ou She Leads Africa multiplient les formations, les levées de fonds et les connexions entre entrepreneures. Le changement est visible, palpable, et surtout, durable.
Vers un modèle gabonais d’innovation ?
Le Gabon ne cherche pas à copier la Silicon Valley. Il tente de bâtir un modèle qui lui ressemble, enraciné dans ses réalités, ses ressources et ses aspirations. Un modèle où la technologie ne remplace pas l’humain, mais le renforce. Où l’innovation ne rime pas avec déconnexion, mais avec inclusion.
« Ce que nous construisons ici n’est pas juste une économie numérique. C’est une nouvelle manière de vivre ensemble, de produire, de rêver », conclut le ministre de l’Économie numérique, Jean-François Yoka. « Et cela ne fait que commencer. »
Alors que les lignes bougent et que les codes changent, une question demeure : le Gabon parviendra-t-il à faire de cette effervescence numérique le socle d’un développement durable et équitable ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.













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