À l’aube, dans les rues animées de Nairobi, des jeunes entrepreneurs installent leurs étals, connectent leurs terminaux de paiement mobile et préparent leur journée. Ici, l’énergie entrepreneuriale est palpable, presque contagieuse. Le Kenya ne se contente pas de rêver d’innovation : il la vit, la respire, la transforme en moteur de croissance. Et si le reste du continent s’en inspirait ?
Un écosystème numérique en pleine effervescence
Le Kenya s’est taillé une réputation de pionnier technologique en Afrique, à tel point qu’on le surnomme parfois la « Silicon Savannah ». Ce surnom n’est pas usurpé. Depuis le lancement de M-Pesa en 2007, le pays a bouleversé la donne en matière de services financiers mobiles, ouvrant la voie à une économie numérique inclusive.
« Avant M-Pesa, il fallait parfois marcher des kilomètres pour envoyer de l’argent à sa famille. Aujourd’hui, tout se fait en quelques secondes sur mon téléphone », confie Jacob, un jeune développeur de Kisumu. Ce système, utilisé par plus de 96 % des ménages kenyans selon la Banque mondiale, a permis à des milliers d’entrepreneurs d’accéder à des services bancaires de base, même dans les zones rurales.
Mais l’innovation ne s’arrête pas là. Des hubs technologiques comme iHub, Nailab ou Gearbox ont vu le jour à Nairobi, accueillant une nouvelle génération de start-up dans les domaines de l’agritech, de la fintech, de la santé ou encore de l’éducation. En 2023, le Kenya a attiré près de 800 millions de dollars en investissements dans les start-up, se plaçant dans le trio de tête africain avec le Nigeria et l’Afrique du Sud.
Une jeunesse affamée d’opportunités
Avec plus de 75 % de sa population âgée de moins de 35 ans, le Kenya est porté par une jeunesse créative, audacieuse et tournée vers l’avenir. Cette démographie, souvent perçue comme un défi, est ici transformée en atout stratégique.
Mary Wanjiru, 28 ans, a fondé une entreprise de recyclage de plastique à Eldoret. « J’ai vu une montagne de déchets dans ma rue et j’ai décidé d’en faire une ressource. Aujourd’hui, je fournis des briques écologiques à des écoles rurales », explique-t-elle avec fierté.
Des histoires comme celle de Mary se comptent par milliers. Le gouvernement, les ONG et le secteur privé ont compris l’importance de soutenir cette énergie. Des programmes comme Ajira Digital ou Youth Enterprise Development Fund financent et forment les jeunes pour transformer leurs idées en entreprises viables.
En 2022, plus de 1,2 million de jeunes kenyans ont bénéficié d’un accompagnement entrepreneurial, selon le ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Entreprise.
Une culture de la débrouillardise et de la résilience
Le mot « hustle » est omniprésent au Kenya. Il incarne cette capacité à créer, à vendre, à innover, souvent avec peu de moyens. Ici, l’entrepreneuriat n’est pas qu’un choix : c’est une nécessité, une réponse à un marché du travail saturé et à une économie en transition.
« J’ai commencé avec un seul blender et une table en bois. Aujourd’hui, j’emploie huit personnes et je livre des jus de fruits bio à travers Nairobi », raconte Kelvin, fondateur de FreshSip. Son regard ne trahit aucune fatigue, seulement la fierté d’avoir bâti quelque chose à partir de rien.
Cette mentalité de « jua kali » — littéralement « soleil brûlant », en référence aux artisans de rue — structure l’économie informelle du pays. Elle représente environ 83 % de l’emploi total selon le Bureau national des statistiques du Kenya. Un vivier d’initiatives, souvent invisibles, mais essentielles à la vitalité économique du pays.
Un soutien institutionnel de plus en plus affirmé
Contrairement à d’autres pays africains où l’environnement des affaires reste rigide, le Kenya a multiplié les réformes pour encourager l’entrepreneuriat. La création d’entreprise y est simplifiée : en ligne, rapide et peu coûteuse. En 2019, le pays figurait parmi les dix premiers réformateurs mondiaux selon le rapport Doing Business de la Banque mondiale.
Le gouvernement a également mis en place des incitations fiscales pour les start-up et les PME, ainsi que des zones économiques spéciales pour attirer les investisseurs. Le tout s’accompagne d’un cadre juridique de plus en plus favorable à l’innovation, avec des lois sur la protection des données, le commerce électronique et les technologies financières.
« Nous voulons faire du Kenya un hub régional de l’entrepreneuriat et de l’innovation », déclarait récemment Rebecca Miano, ministre de l’Investissement, lors d’un forum à Mombasa. Une ambition qui semble de moins en moins utopique.
Une diaspora active et connectée
Autre particularité kenyane : sa diaspora joue un rôle moteur dans le développement entrepreneurial. En 2022, les transferts de fonds des Kenyans vivant à l’étranger ont atteint 4,1 milliards de dollars, un record historique. Mais au-delà de l’argent, c’est aussi le savoir, les réseaux et les idées qui circulent.
« J’ai étudié à Toronto, mais je voulais revenir pour lancer ma start-up ici. Le marché est dynamique, les besoins sont réels, et il y a une vraie ouverture à l’expérimentation », explique Faith Mutua, fondatrice d’une plateforme de formation en ligne pour les artisans.
Des initiatives comme le programme « Diaspora Investment Fund » encouragent cette dynamique, en facilitant les partenariats entre les Kenyans de l’étranger et les entrepreneurs locaux. Une manière de connecter les mondes et de créer des ponts économiques durables.
Des leçons à tirer pour le reste du continent
Le modèle kenyan n’est pas parfait. Les défis restent nombreux : inégalités régionales, accès limité au crédit, infrastructures parfois défaillantes. Mais l’élan entrepreneurial qui anime le pays offre des pistes d’inspiration claires pour le reste de l’Afrique.
Investir dans le numérique, miser sur la jeunesse, simplifier les démarches administratives, valoriser l’économie informelle, impliquer la diaspora… Autant de leviers que d’autres nations pourraient adapter à leur contexte.
« L’Afrique n’a pas besoin de copier la Silicon Valley. Elle peut créer ses propres modèles, adaptés à ses réalités », affirme le professeur Wekesa, économiste à l’université de Nairobi. « Le Kenya montre que c’est possible. »
Alors, et si le futur de l’entrepreneuriat africain se dessinait déjà sur les collines de Ngong, dans les ruelles de Kibera ou les start-up cafés de Westlands ? Le reste du continent est-il prêt à écouter les leçons venues de la Silicon Savannah ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.













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