Dans une ruelle poussiéreuse de Harare, à l’intérieur d’un ancien entrepôt transformé en hub technologique, des jeunes tapotent frénétiquement sur leurs claviers. L’air est chargé d’électricité, d’optimisme, et d’une ambition farouche : réinventer le Zimbabwe. Loin des clichés d’un pays en crise, une nouvelle génération d’innovateurs émerge, portée par une énergie créative et une foi inébranlable dans le potentiel du numérique.
Un réveil technologique inattendu
Depuis quelques années, le Zimbabwe connaît une effervescence discrète mais puissante dans le domaine de l’innovation. Malgré un contexte économique difficile, le pays voit naître des start-ups, des laboratoires d’idées et des incubateurs à un rythme surprenant.
« Quand on n’a rien, on est obligé d’inventer », lance Tendai Moyo, ingénieur logiciel de 27 ans et cofondateur de ShashaPay, une application de paiement mobile locale. « On ne peut pas attendre que la Silicon Valley nous sauve. Alors on crée nos propres solutions, pour nos propres problèmes. »
Selon le Zimbabwe Economic Policy Analysis and Research Unit (ZEPARU), le nombre de start-ups technologiques enregistrées dans le pays a doublé entre 2019 et 2023. Cette croissance est portée par une jeunesse ultra-connectée — plus de 60 % des Zimbabwéens ont moins de 25 ans — et une pénétration d’Internet qui dépasse désormais les 65 % dans les zones urbaines.
Des hubs d’innovation qui bousculent les codes
À Harare, Bulawayo ou Mutare, des espaces de coworking et d’incubation voient le jour, souvent à l’initiative de la société civile ou de la diaspora revenue au pays. Impact Hub Harare, Moto Republik ou encore TechVillage sont devenus des épicentres de créativité.
« On vient ici pour apprendre, mais surtout pour rêver ensemble », explique Rutendo Chikukwa, designer UX chez AfroSoft. « Avant, on pensait que l’innovation, c’était pour les autres. Aujourd’hui, on y croit. »
Ces lieux hybrides proposent mentorat, formations, accès à Internet haut débit et parfois même des financements. Ils accueillent aussi des concours d’innovation, des hackathons et des ateliers sur l’intelligence artificielle, la blockchain ou l’agriculture intelligente.
En 2022, le ZimHack, un hackathon national, a réuni plus de 1 200 participants venus de tout le pays. Le projet gagnant : une application de télémédecine low-cost, conçue pour les zones rurales isolées.
Des solutions locales pour des défis locaux
Ce qui distingue l’écosystème zimbabwéen, c’est sa capacité à répondre à des problèmes spécifiques. Ici, pas de gadgets superflus, mais des outils concrets pour améliorer la vie quotidienne.
EcoFarmer, par exemple, permet aux petits agriculteurs d’accéder à des prévisions météorologiques par SMS, à des conseils agronomiques et à une micro-assurance récolte. L’application a déjà séduit plus de 800 000 utilisateurs.
Autre exemple : VaxiMate, une plateforme développée par deux étudiants de l’Université du Zimbabwe, qui suit la chaîne du froid des vaccins dans les zones reculées. « On a perdu un neveu à cause d’un vaccin inefficace. Ça nous a poussés à trouver une solution », confie Tapiwa Ncube, l’un des cofondateurs.
Ces innovations sont souvent frugales, conçues avec peu de moyens mais une grande ingéniosité. Elles s’appuient sur des technologies accessibles — SMS, USSD, Android low-cost — pour toucher les populations les plus vulnérables.
Une diaspora qui revient avec des idées
Longtemps partie chercher ailleurs ce que le pays ne pouvait offrir, une partie de la diaspora zimbabwéenne revient aujourd’hui, porteuse de compétences et de réseaux précieux.
« Je suis rentré de Londres en 2020, en pleine pandémie », raconte Simba Dube, ancien consultant chez Deloitte, aujourd’hui fondateur de ZimAI, une start-up spécialisée dans la reconnaissance vocale en langues locales. « C’était le bon moment. Le pays a soif de renouveau. »
Ce retour s’accompagne parfois d’investissements. Le fonds Diaspora Angels Zimbabwe, lancé en 2021, a déjà financé 15 start-ups à hauteur de 1,2 million de dollars. L’objectif : créer un pont entre l’expertise extérieure et les talents locaux.
« On ne vient pas pour sauver le pays, mais pour construire avec ceux qui sont restés », insiste Nyasha Tembo, investisseuse basée à Toronto. « Le Zimbabwe a tout ce qu’il faut pour devenir un hub technologique régional. »
Des obstacles encore bien réels
Mais tout n’est pas simple. L’environnement économique reste instable, avec une inflation élevée et une monnaie nationale fragile. L’accès au financement reste difficile pour les jeunes entrepreneurs, et la réglementation peine à suivre le rythme de l’innovation.
« Il nous faut souvent six mois pour enregistrer une entreprise », déplore Tinashe Mlambo, fondateur de ZimRide, une application de covoiturage. « Et les banques refusent de nous prêter sans garanties irréalistes. »
Le manque de formation technique est également un frein. Si les universités produisent des diplômés brillants, peu sont préparés aux exigences du monde entrepreneurial. Les formations pratiques, les stages et les partenariats avec les entreprises sont encore trop rares.
Enfin, la coupure fréquente d’électricité et la qualité inégale de la connexion Internet ralentissent le développement de certaines initiatives, notamment dans les zones rurales.
Un avenir encore à écrire
Malgré les défis, l’écosystème zimbabwéen de l’innovation avance, porté par une énergie contagieuse. Les jeunes, les femmes, les ingénieurs, les artistes, tous semblent animés par le même désir : réinventer leur avenir, à leur manière.
« On ne veut pas copier la Silicon Valley », affirme Fungai Mapfumo, développeuse freelance. « On veut créer quelque chose qui nous ressemble. Une innovation africaine, zimbabwéenne, humaine. »
Le gouvernement commence à prendre la mesure du phénomène. En 2023, il a lancé le National Innovation Fund, doté de 10 millions de dollars, pour soutenir les projets technologiques à fort impact social. Une goutte d’eau, certes, mais un signal encourageant.
Et si le Zimbabwe, contre toute attente, devenait l’un des laboratoires d’innovation les plus surprenants d’Afrique australe ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.













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