Ils partent sans bruit, loin des projecteurs. Ni l’Europe, ni les États-Unis ne sont leur destination. Une autre carte des migrations africaines se dessine, plus discrète, plus complexe. Elle mène vers des pays inattendus, parfois voisins, parfois à l’autre bout du monde. Pourquoi ces nouvelles routes ? Et que racontent-elles sur les espoirs, les peurs et les réalités d’une jeunesse en mouvement ?
Changer de cap : quand l’Europe n’est plus la seule option
Depuis plusieurs décennies, l’image dominante du migrant africain est celle d’un homme jeune, traversant la Méditerranée sur une embarcation précaire, rêvant d’Europe. Mais cette image s’effrite. De plus en plus de jeunes Africains tournent le dos à ce rêve devenu cauchemar pour explorer d’autres horizons.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), près de 70 % des mouvements migratoires africains s’effectuent aujourd’hui à l’intérieur du continent. Des pays comme le Rwanda, le Ghana ou encore l’Afrique du Sud deviennent des pôles d’attraction pour une jeunesse avide d’opportunités.
“Je voulais juste un endroit où je pourrais travailler, vivre dignement et être respecté”, confie Mamadou, 28 ans, originaire de Guinée, installé à Kigali depuis deux ans. “L’Europe, c’était trop dangereux. Ici, je me sens en sécurité.”
Le Rwanda, eldorado inattendu pour une jeunesse en quête de stabilité
Le Rwanda attire. Ce petit pays enclavé, autrefois ravagé par le génocide, est aujourd’hui cité en exemple pour sa stabilité politique et sa croissance économique. Depuis 2010, son PIB a presque doublé, et Kigali, sa capitale, s’est transformée en hub technologique régional.
Le gouvernement rwandais a mis en place une politique d’accueil volontaire, notamment pour les réfugiés africains bloqués en Libye. Mais au-delà de l’asile, ce sont les opportunités économiques qui retiennent les migrants.
“Je travaille dans une start-up qui développe des applications de santé pour les zones rurales”, explique Fatou, une développeuse sénégalaise de 32 ans. “Je n’aurais jamais imaginé faire carrière ici. Mais Kigali m’a donné ma chance.”
En 2022, le Rwanda a accueilli plus de 130 000 étrangers, dont une part croissante d’Africains venus pour étudier, travailler ou entreprendre.
Gulf Stream : le Moyen-Orient comme terre d’accueil
Autre destination en pleine ascension : les pays du Golfe. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et le Koweït attirent chaque année des dizaines de milliers de travailleurs africains, notamment d’Éthiopie, du Soudan, du Nigéria ou du Kenya.
“J’ai quitté Addis-Abeba à 24 ans pour travailler comme infirmière à Dubaï”, raconte Selam, aujourd’hui âgée de 30 ans. “Ce n’est pas facile, mais je gagne trois fois plus qu’en Éthiopie. Je peux envoyer de l’argent à ma famille chaque mois.”
En 2023, les Émirats arabes unis comptaient plus de 200 000 ressortissants africains, un chiffre en constante augmentation. Les secteurs de la construction, du service à la personne, de la santé et de l’hôtellerie sont les plus demandeurs.
Mais cette migration vers le Golfe n’est pas sans risques. Les ONG dénoncent régulièrement des conditions de travail abusives et des cas d’exploitation. Pourtant, pour beaucoup, le compromis en vaut la peine.
Amérique latine : un détour audacieux vers un nouveau monde
Ils traversent l’Atlantique, parfois sans parler un mot d’espagnol ou de portugais. Depuis quelques années, des milliers d’Africains choisissent l’Amérique latine comme point de chute… ou comme étape vers d’autres rêves.
Le Brésil, le Chili, l’Argentine et même le Mexique voient arriver des migrants venus du Cameroun, de la RDC, de la Côte d’Ivoire ou d’Angola. Certains fuient des conflits, d’autres cherchent simplement un avenir meilleur.
“Je suis arrivé au Brésil en 2016, après avoir traversé plusieurs pays”, témoigne Jean-Paul, originaire de Kinshasa. “J’ai vendu des sandwiches dans la rue, puis j’ai trouvé un emploi dans une usine. Aujourd’hui, je suis régularisé.”
Le Brésil a délivré plus de 40 000 visas humanitaires à des Africains entre 2015 et 2023. Le pays, historiquement lié à l’Afrique par la traite transatlantique, offre une terre d’accueil inattendue, bien que parfois instable.
Les migrations Sud-Sud : une dynamique silencieuse mais puissante
Ce que l’on appelle les “migrations Sud-Sud” — entre pays en développement — représentent aujourd’hui plus de 40 % des flux migratoires mondiaux. En Afrique, cette tendance est encore plus marquée.
Le Sénégal accueille des Maliens, le Gabon des Congolais, l’Angola des ressortissants de RDC, la Côte d’Ivoire attire des Burkinabés. Ces mouvements sont souvent anciens, liés à l’histoire coloniale, aux échanges commerciaux ou aux liens familiaux.
“Je suis venu à Abidjan en 2010 pour vendre des pièces détachées”, raconte Moussa, originaire de Bobo-Dioulasso. “Aujourd’hui, j’ai trois boutiques et mes enfants vont à l’école ici.”
Ces migrations sont souvent peu visibles, car elles ne franchissent pas les frontières médiatiques. Pourtant, elles structurent profondément les économies et les sociétés africaines.
Des rêves mobiles, des identités mouvantes
Ce qui frappe dans ces nouvelles trajectoires migratoires, c’est leur diversité. Les migrants africains ne fuient pas toujours la guerre ou la misère. Beaucoup partent par choix, pour étudier, entreprendre, se réinventer.
“Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des explorateurs”, affirme Aminata, une étudiante malienne en master d’ingénierie au Maroc. “Je veux rentrer un jour, mais avec des compétences et une vision.”
Les identités se recomposent, les appartenances se déplacent. Un jeune Nigérian peut se sentir chez lui à Nairobi, une Camerounaise peut bâtir une vie à Buenos Aires. Les frontières deviennent plus souples, les parcours plus complexes.
En 2024, plus de 36 millions d’Africains vivent en dehors de leur pays d’origine. La majorité d’entre eux ne cherchent pas à rejoindre l’Occident, mais à construire un avenir ailleurs, parfois juste à quelques centaines de kilomètres de chez eux.
Et si, finalement, la véritable révolution migratoire africaine ne se jouait pas en Méditerranée, mais dans les rues de Kigali, les chantiers de Doha, les quartiers de São Paulo ou les marchés de Lomé ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.














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