À quelques ruelles du tumulte de Casablanca, dans un café discret aux murs tapissés de carreaux bleus, un jeune entrepreneur tapote frénétiquement sur son ordinateur portable. Il s’appelle Youssef, il a 27 ans, et il vient de signer un partenariat avec une entreprise allemande pour exporter ses meubles design en bois recyclé. Ce que peu de gens savent, c’est que des dizaines de milliers de Marocains comme lui réinventent aujourd’hui l’économie du pays, dans l’ombre des projecteurs médiatiques.
Un écosystème en pleine ébullition
Le Maroc n’est plus seulement un carrefour entre l’Europe et l’Afrique. C’est devenu un incubateur bouillonnant d’idées, de projets et d’ambitions. Depuis une dizaine d’années, le pays a vu naître une génération d’entrepreneurs qui ne se contentent plus de suivre les règles. Ils les réécrivent.
En 2023, le Maroc comptait plus de 250 incubateurs, accélérateurs et espaces de coworking répartis dans les principales villes du pays. Des lieux comme le Technopark de Casablanca, le New Work Lab ou encore le H7 à Rabat offrent aux jeunes porteurs de projets un accès à des formations, des mentors et parfois des financements.
“Le changement est palpable. On sent une énergie nouvelle. Les jeunes veulent créer, innover, avoir un impact”, explique Salma El Idrissi, fondatrice de StartUp Maroc, une organisation qui accompagne les jeunes pousses locales.
Selon le Global Entrepreneurship Monitor, près de 40 % des Marocains âgés de 18 à 35 ans envisagent sérieusement de lancer leur propre entreprise. Un chiffre impressionnant qui place le pays parmi les plus dynamiques du continent africain.
Des secteurs inattendus en pleine mutation
Si l’on pense souvent à la tech ou au e-commerce lorsqu’on évoque l’entrepreneuriat, le Maroc surprend par la diversité de ses secteurs en croissance. L’agriculture intelligente, les énergies renouvelables, l’artisanat digitalisé et même la mode éthique attirent de plus en plus de jeunes créateurs.
À Marrakech, par exemple, une ancienne styliste reconvertie, Zineb Khalfi, a lancé une marque de vêtements fabriqués à partir de textiles recyclés et teints naturellement. “Je voulais prouver qu’on pouvait faire du beau, du traditionnel et du durable à la fois”, confie-t-elle. Son entreprise emploie aujourd’hui 15 femmes issues de zones rurales.
Dans la région de Souss-Massa, un collectif d’agriculteurs a adopté des techniques d’irrigation connectées pour économiser l’eau. Le projet, soutenu par une startup locale, a permis de réduire la consommation d’eau de 60 % en deux ans. “C’est une révolution silencieuse”, résume un ingénieur agronome impliqué dans le projet.
Un soutien politique discret mais croissant
Le gouvernement marocain, longtemps critiqué pour son inertie, a progressivement pris conscience du potentiel du tissu entrepreneurial. Des initiatives telles que le programme “Intelaka”, lancé en 2020, ont permis à plus de 28 000 jeunes de bénéficier de financements à taux préférentiels pour lancer leur activité.
“C’est la première fois que je me suis senti soutenu par l’État”, témoigne Mehdi, fondateur d’une plateforme de livraison écoresponsable à Fès. “Sans ce prêt, je n’aurais jamais pu acheter mes premiers vélos électriques.”
Le ministère de l’Industrie a également mis en place des dispositifs pour favoriser l’exportation des produits marocains, en particulier ceux issus des startups innovantes. En 2022, plus de 600 jeunes entreprises ont ainsi pu participer à des salons internationaux ou bénéficier d’un accompagnement personnalisé à l’export.
Une diaspora engagée dans la transformation
Un autre moteur discret mais puissant de cette success story réside dans la diaspora marocaine. Présente dans toute l’Europe, notamment en France, en Belgique et aux Pays-Bas, elle joue un rôle clé dans le financement et l’accompagnement de nombreuses initiatives locales.
“J’ai investi dans trois startups marocaines depuis Paris”, raconte Nadia, ingénieure en informatique. “C’est ma façon de contribuer au développement du pays, même à distance.”
Des plateformes comme DiafrikInvest ou Maroc Entrepreneurs facilitent ces connexions entre talents de la diaspora et porteurs de projets au Maroc. Résultat : des transferts de compétences, des financements, mais aussi une ouverture vers des marchés internationaux.
En 2021, les transferts de fonds de la diaspora marocaine ont atteint 93 milliards de dirhams, un record historique. Une partie non négligeable de cette somme alimente directement ou indirectement l’écosystème entrepreneurial.
Des freins persistants mais contournés
Bien sûr, tout n’est pas rose dans le paysage entrepreneurial marocain. Les lenteurs administratives, la difficulté d’accès au crédit pour les plus modestes, ou encore la fiscalité parfois décourageante restent des obstacles réels.
“Il m’a fallu huit mois pour immatriculer mon entreprise”, se souvient Amine, développeur d’une application de santé à distance. “Mais j’ai appris à contourner les blocages, à être plus stratégique.”
Pour beaucoup, la solution passe par la solidarité entre entrepreneurs. Des réseaux informels se sont créés, où les jeunes chefs d’entreprise s’échangent conseils, contacts et astuces pour naviguer dans un système encore rigide.
Les femmes, en particulier, ont dû redoubler d’efforts pour se faire une place. Mais elles sont de plus en plus nombreuses à briser les plafonds de verre. En 2023, 34 % des nouvelles entreprises créées au Maroc l’ont été par des femmes, contre seulement 18 % dix ans plus tôt.
Une ambition continentale assumée
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est l’ambition. Les jeunes entrepreneurs marocains ne se contentent plus de viser leur quartier ou leur ville. Ils pensent en grand. En africain. En global.
“Notre objectif, c’est d’être présents dans dix pays d’Afrique d’ici trois ans”, affirme fièrement Rachid, cofondateur d’une startup de paiement mobile basée à Tanger. “Le Maroc peut devenir une plateforme de l’innovation africaine.”
De plus en plus de startups marocaines s’implantent à Dakar, Abidjan ou Kigali. Elles y trouvent des marchés dynamiques, une jeunesse connectée, et un terrain fertile pour leurs idées. Cette stratégie Sud-Sud, encore marginale il y a quelques années, devient aujourd’hui un levier de croissance incontournable.
Le Maroc, longtemps perçu comme un pays de transit ou de tourisme, est en train de se réinventer en laboratoire d’innovation. Une transformation silencieuse, portée par des milliers de rêveurs, de codeurs, d’artisans et de visionnaires.
Mais cette énergie unique, souvent ignorée, pourra-t-elle résister aux vents contraires de la mondialisation, des crises économiques et des inégalités persistantes ? Le pari est lancé. Et il se joue, chaque jour, dans les ruelles de Casablanca, les ateliers de Fès ou les fermes connectées d’Agadir.

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.












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