Le vent souffle fort sur les côtes sénégalaises, mais ce ne sont plus seulement les pêcheurs qui scrutent l’horizon. Désormais, c’est tout un pays qui regarde vers l’océan, vers le ciel, vers l’avenir. Une révolution énergétique discrète mais déterminée est en marche, portée par l’urgence climatique et le rêve d’indépendance énergétique. Le Sénégal, longtemps dépendant des hydrocarbures importés, prépare un virage audacieux.
Un pays sous pression climatique
Le Sénégal n’est pas épargné par les effets du changement climatique. Depuis deux décennies, les saisons deviennent imprévisibles, les pluies plus rares, les températures plus extrêmes. Le littoral recule, grignoté par l’océan. À Saint-Louis, ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, plus de 10 000 habitants ont déjà été déplacés à cause de l’érosion côtière.
« Nous avons perdu notre maison en une nuit », raconte Aissatou Ndiaye, habitante du quartier de Guet Ndar. « L’eau est montée, les vagues ont tout emporté. C’est comme si la mer voulait reprendre ce qui lui appartenait. »
Face à cette réalité, le gouvernement sénégalais n’a plus le luxe de l’attentisme. Réduire les émissions de gaz à effet de serre, diversifier les sources d’énergie, et protéger les communautés vulnérables sont devenus des priorités nationales.
Le pari des énergies renouvelables
Depuis 2016, le Sénégal a lancé plusieurs projets d’envergure pour intégrer les énergies renouvelables dans son mix énergétique. Aujourd’hui, près de 30 % de l’électricité produite dans le pays provient de sources renouvelables, principalement le solaire et l’éolien.
Le parc éolien de Taïba Ndiaye, inauguré en 2020, est le plus grand d’Afrique de l’Ouest. Avec ses 46 turbines, il alimente plus de deux millions de Sénégalais. « C’est une fierté nationale », affirme Moussa Diop, ingénieur sur le site. « Nous prouvons que l’Afrique peut produire une énergie propre, stable et compétitive. »
En parallèle, des centrales solaires ont vu le jour à Bokhol, Malicounda et Santhiou Mékhé. Ces installations permettent non seulement de réduire la dépendance au fioul importé, mais aussi de stabiliser les prix de l’électricité.
Le gaz naturel, une solution de transition ?
Mais le Sénégal ne mise pas uniquement sur le vent et le soleil. En 2023, le pays a franchi une étape décisive avec le lancement de l’exploitation du champ gazier offshore de Grand Tortue Ahmeyim, à la frontière avec la Mauritanie. Ce projet, mené avec BP et Kosmos Energy, pourrait faire du Sénégal un acteur majeur du gaz en Afrique.
Le gouvernement présente ce gaz comme une énergie de transition, moins polluante que le charbon ou le pétrole. « Nous devons être pragmatiques », explique Antoine Félix Diome, ministre de l’Énergie. « Le gaz nous permettra de financer la transition vers les renouvelables, tout en assurant la sécurité énergétique. »
Cependant, cette stratégie suscite des débats. Certains experts redoutent un nouvel enfermement dans une dépendance fossile, tandis que d’autres y voient une opportunité de développement économique rapide. Le dilemme est réel, et le temps presse.
Une stratégie nationale en mutation
En 2021, le Sénégal a adopté une Stratégie nationale de développement bas carbone à l’horizon 2050. Ce document trace une feuille de route ambitieuse : réduction de 23 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, électrification rurale à 100 %, et intégration massive des énergies propres.
Pour y parvenir, l’État mise sur des partenariats public-privé, des financements internationaux, et une coopération renforcée avec les institutions africaines. La Banque africaine de développement a déjà engagé plus de 300 millions de dollars dans des projets énergétiques sénégalais.
« Le Sénégal devient un laboratoire de la transition énergétique en Afrique », estime Fatoumata Ba, consultante en politiques climatiques. « Ce qui se passe ici pourrait inspirer d’autres pays du Sahel. »
Les défis de l’accès à l’énergie
Malgré les progrès, l’accès à l’électricité reste inégal. En zone urbaine, plus de 90 % des ménages sont raccordés, mais en zone rurale, ce chiffre tombe à 45 %. Des milliers de villages vivent encore dans l’obscurité, ou dépendent de groupes électrogènes coûteux et polluants.
Pour y remédier, des micro-réseaux solaires sont en cours de déploiement dans les régions isolées. À Kolda, un projet pilote alimente déjà une centaine de foyers. « Avant, on utilisait des lampes à pétrole », raconte Mamadou Sarr, chef de village. « Maintenant, nos enfants peuvent étudier le soir, et les femmes peuvent conserver les aliments au frais. »
Ces initiatives locales sont cruciales pour faire de la transition énergétique une réalité partagée, et non un luxe réservé aux grandes villes.
Une jeunesse mobilisée
Dans les rues de Dakar, les voix s’élèvent. Des collectifs citoyens, des étudiants, des artistes s’emparent de la question climatique. Chaque vendredi, des jeunes se rassemblent devant le ministère de l’Environnement, pancartes à la main, slogans en wolof et en français.
« Ce n’est pas seulement une crise écologique, c’est une crise sociale », affirme Khadim Gueye, 22 ans, membre du mouvement Fridays for Future Sénégal. « Nous voulons un avenir où l’énergie rime avec justice, où personne n’est laissé de côté. »
Cette jeunesse, connectée, engagée, exige des comptes et des résultats. Elle pousse les décideurs à aller plus loin, plus vite. Et peut-être, à inventer un nouveau modèle africain de développement durable.
Le Sénégal est à la croisée des chemins. Entre le soleil qui brûle, le vent qui souffle, et le gaz qui dort sous les flots, il cherche sa voie. Mais dans ce pays où l’énergie a toujours été une question de survie, peut-elle devenir un outil de renaissance ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.














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