Le vent souffle fort sur l’île de São Vicente. Les vagues viennent s’écraser contre les rochers noirs, et dans le port de Mindelo, les pêcheurs réparent leurs filets sous le soleil. Ici, au cœur de l’Atlantique, un petit archipel trace discrètement une voie singulière : celle d’une économie tournée vers la mer, durable, innovante, et résolument africaine.
Un archipel où la mer est une évidence
Le Cap-Vert, avec ses dix îles volcaniques disséminées à 500 km des côtes du Sénégal, n’a pas de grandes ressources terrestres. Peu d’eau douce, peu de terres arables. Mais il possède une richesse immense : l’océan.
« Nous avons toujours vécu avec la mer, mais aujourd’hui, nous apprenons à vivre de la mer autrement », confie Rosa Andrade, océanographe et conseillère au ministère de l’Économie maritime. Le pays a fait de l’économie bleue une priorité nationale. Un choix stratégique dans un monde en quête de durabilité.
Près de 99 % de la zone économique exclusive cap-verdienne est maritime, soit plus de 700 000 km² d’océan. Une immensité qui abrite des ressources halieutiques précieuses, un potentiel énergétique considérable et des voies maritimes stratégiques.
La pêche artisanale au cœur de la transformation
Au lever du jour, des dizaines de barques colorées quittent les plages de Palmeira ou de Tarrafal. La pêche artisanale reste une activité vitale pour des milliers de familles. Mais elle évolue.
« Avant, on vendait le poisson brut, à la criée. Maintenant, on apprend à le transformer, à le conserver, à le valoriser », explique José Lima, pêcheur depuis 27 ans à São Nicolau. Grâce aux coopératives locales et aux aides européennes, des unités de transformation ont vu le jour. Séchage, fumage, mise sous vide : le poisson cap-verdien s’exporte désormais jusqu’en Europe.
Le gouvernement a lancé un ambitieux programme de modernisation des infrastructures : ports réhabilités, chambres froides, centres de formation. L’objectif ? Passer d’une pêche de subsistance à une filière compétitive et durable.
Tourisme marin : entre écotourisme et plongée durable
Sur l’île de Sal, les plages de sable blanc attirent chaque année plus de 800 000 visiteurs. Mais le Cap-Vert veut aller au-delà du tourisme balnéaire. Il mise désormais sur le tourisme marin durable.
« Nous proposons des sorties en mer pour observer les baleines, les tortues, mais toujours dans le respect des écosystèmes », explique Fatou Diogo, guide écotouristique à Boa Vista. Les récifs coralliens, les épaves de navires et les réserves naturelles marines deviennent des atouts majeurs pour attirer une clientèle plus soucieuse de l’environnement.
Des zones protégées ont été créées, et les opérateurs touristiques sont formés à la préservation des habitats marins. En 2022, le secteur du tourisme marin a généré plus de 150 millions d’euros, soit près de 20 % des recettes touristiques du pays.
Énergies marines : un pari sur l’avenir
Le vent souffle fort au Cap-Vert, mais la mer aussi recèle un potentiel énergétique immense. Le pays explore activement les énergies marines renouvelables.
« Nous testons actuellement des technologies de conversion de l’énergie des vagues et des courants marins », explique Celso Monteiro, ingénieur à l’Université de Praia. Des partenariats avec des instituts européens permettent d’expérimenter des prototypes de turbines sous-marines et de bouées houlomotrices.
L’objectif est ambitieux : atteindre 50 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2030. Déjà, plusieurs îles comme Brava ou Santo Antão fonctionnent partiellement grâce à l’énergie éolienne et solaire. L’océan pourrait compléter cette équation verte.
Une gouvernance bleue et inclusive
Le Cap-Vert ne se contente pas d’exploiter la mer : il veut la protéger. En 2019, le pays a adopté une stratégie nationale pour l’économie bleue, articulée autour de la durabilité, de l’inclusion sociale et de la résilience climatique.
« L’économie bleue ne doit pas reproduire les inégalités de l’économie classique », insiste Maria Lopes, sociologue et membre du Conseil national pour la mer. Des programmes ciblés soutiennent les femmes dans la filière halieutique, les jeunes dans les métiers maritimes, et les communautés côtières dans la gestion des ressources.
Le Cap-Vert participe aussi activement à la surveillance de ses eaux, en collaboration avec l’Union africaine et l’Organisation maritime internationale. La lutte contre la pêche illégale, qui coûte chaque année plus de 2 milliards de dollars au continent africain, est une priorité.
Un modèle africain en devenir ?
Le Cap-Vert inspire. Plusieurs pays africains, du Sénégal à Madagascar, observent de près son approche intégrée et pragmatique de l’économie bleue. En 2023, l’archipel a accueilli la première Conférence africaine sur la croissance bleue, rassemblant plus de 30 délégations.
« Ce que le Cap-Vert montre, c’est qu’un petit pays peut avoir une grande vision », résume le professeur Kwame Bayo, expert ghanéen en politiques maritimes. Une vision où la mer n’est plus seulement un espace à exploiter, mais un bien commun à préserver.
Dans un continent où plus de 70 % des grandes villes sont côtières et où les océans représentent un potentiel économique colossal, le Cap-Vert trace une voie. Discrète, mais résolue. Une voie qui interroge : et si l’avenir de l’Afrique se jouait aussi au large de ses côtes ?

Ecole de journalisme à Tunis, je traite de beaucoup de sujets liés à l’actualité de mon continent de coeur : Economie, Marché, Politique et Santé … je m’intéresse à tout et à tout le monde.













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